Guimbarde, Chant du Vent et des Esprits, par G. Dournon-Taurelle, John Wright

«  Il existe à travers le monde plusieurs types d’instruments de musique qui fonctionnent en association avec la cavité buccale du musicien. Ces instruments produisent en général un seul signal, dont la hauteur peut être soit fixe, soit modulée, mais leurs possibilités mélodiques sont largement accrues par la faculté qu’a le musicien de sélectionner à son gré et de renforcer certains partiels de ce signal en modifiant le volume de sa cavité buccale et l’intensité de son souffle. Parmi ces instruments, la guimbarde est l’un des plus efficaces. Le signal qu’elle produit est émis par une languette vibrante dont l’extrémité se place devant la bouche et que l’on fait vibrer selon plusieurs procédés différents.

La guimbarde est répandue sous une très grande variété de formes dans un très grand nombre de populations diverses, mais on ne peut pas dire que sa distribution soit universelle. En tant qu’instrument autochtone elle n’est connue qu’en Asie, en Indonésie, en Mélanésie et en Europe. Les guimbardes qu’on a jusqu’à présent trouvées en Afrique et en Amérique sont ou bien d’importation européenne ou bien, lorsqu’elles sont de fabrication locale, inspirées d’instruments européens.

Autant sa facture, son usage, resté encore aujourd’hui très vivant, se diversifie au gré de sa distribution à travers le monde. En Mongolie, elle est l’instrument du chamane, dans les mains duquel elle remplace parfois le tambour, en certaines régions de Nouvelle-Guinée c’est un instrument magique lié aux rites de fertilité, en Chine et en Asie du Sud-Est, elle est utilisée pour les cours d’amour, en Irlande elle sert à faire la musique de danse. Ses ressources sonores sont exploitées de plusieurs façons. Le chamane l’utilise plutôt comme un bruitage, l’amoureux l’utilise comme une voix artificielle pour courtiser sa belle, certains orchestres de l’Inde en font, pour son timbre, un instrument d’appoint au tambour. Mais le plus souvent c’est comme un instrument mélodique qu’on en joue, généralement en solo. On obtient ainsi, à Bali, une véritable musique orchestrale qui rappelle de très près, mais en miniature, celle du gamelan (orchestre où prédominent les instruments de percussion en bronze. Gamelan signifiant « gong » en indonésien).

Source : Les guimbardes du musée de l’homme, G. Dournon-Taurelle, John Wright, Institut d’ethnologie Paris. 

" La guimbarde est l’un des instruments de musique les plus minimalistes dans sa conception, le plus fragile aussi en apparence, avec son simple cadre métallique et sa languette souple. En Sibérie, on dit que « forgeron et chamane sont deux oiseaux du même nid ».

L’un mettant sa force dans la création de l’instrument qui ressortira ensuite dans l’utilisation subtile qu’en fera l’autre. – Tout est vibration. La guimbarde émet des ondes qui traversent les mondes pour mieux dialoguer avec eux. Le chamane actionne l’instrument en le tenant fermement en main avec trois doigts : le pouce à l’ouest, l’index au nord et le majeur au sud. Il le colle contre ses dents en serrant les lèvres. Il fait vibrer la lame en modulant les sons d’un souffle et de la langue, la bouche agissant comme une caisse de résonance. La guimbarde convoque les esprits, mais sait aussi les renvoyer, pour qu’ils trouvent le repos quand ils ont terminé leur tâche. Elle est le prolongement du chamane, se calant comme une plume d’oiseau sur le rythme de son âme et de ses intentions. Le son est fugitif, il court mais ne se perd, touchant avec délicatesse celui qui vient à sa rencontre. »

« La guimbarde puise à l’élément air pour accompagner ses déplacements. Elle est sa compagne de vie, toujours prête à invoquer les esprits quand cela s’impose. La guimbarde est son prolongement, amie familière, disposée à servir, où qu’elle soit, pour le meilleur de son prochain. Elle porte le chamane avec légèreté et constance, lui permettant de se relier à l’infini dans une lente progression qui conduit à son élévation. Elle est volatile. Elle ne le soumet pas, mais épouse son désir d’ascension vers davantage de clarté. Elle le porte vers le monde des esprits qui viennent à lui, eux-mêmes sensibles à son langage et à ses incantations répétées. La guimbarde parle la langue des cieux, sachant restituer la parole de l’âme dans la pureté de son essentiel. C’est un chant, une ode offerte à l’invisible, à la fois durable et éphémère. ». (…)

Source : CIEL BLANC CIEL NOIR. Une initiation au chamanisme mongol ; Brigitte Pietrzak -MAMA éditions

Brigitte Pietrzak, in Au-delà du tambour. Lettres à mes esprits alliés 2023 - MAMA éditions
« La guimbarde et le tambour sont mes deux outils. Ils m’ont été donnés, l’un après l’autre, par Enkhtuya la chamane. J’ai d’abord dû apprendre à marcher avant de savoir chevaucher ma monture. Les deux instruments portent en eux, à leur façon, la force d’invocation et ont le pouvoir d’appeler les esprits avec plus ou moins de force. Le tambour est un cheval fougueux qui demande qu’on le maîtrise, avant qu’il nous emporte de plus en plus loin vers les plans subtils. La guimbarde, malgré les maladresses pour la manier au début, a le pouvoir d’accompagner avec patience le chamane dans sa quête de visions.
Chacun de ces instruments m’a demandé de grands moments de solitude pour apprendre à l’entendre et créer un lien intime avec lui. La guimbarde a sollicité mon souffle, en me demandant de s’enraciner jusque dans mes poumons, pour y prendre refuge. Elle a accepté de se prêter aux caprices de mes modulations, à condition que je l’accueille dans toutes la légèreté et tous les caprices de son envol. Elle m’a ainsi accordé le pouvoir de faire venir les esprits, mais aussi de les faire partir. Le tambour, lui, a posé une exigence plus grande, me sollicitant corps et âme, en me faisant la promesse des plus beaux voyages chamaniques. Il a fallu que le porte fièrement, oubliant son poids, pour qu’il consente à m’ouvrir les portes de l’invisible. Les deux se sont proposé d’accompagner ma vision jusqu’à me conduire vers les rencontres les plus remarquables. Je n’ai jamais eu de préférence pour l’un ou l’autre. Même si beaucoup accordent une supériorité à la noblesse du tambour, j’ai pour chacun, le même attachement. A pied ou à cheval, l’aspiration à retrouver l’origine perdue m’offre à chaque instant la possibilité de me relier à l’infini des mondes, du plus haut au plus bas. »​​​​​​​